De la fibre au fil : le filage

Pour fabriquer un tissu, la 1ère étape est d'obtenir des fibres comme par exemple du coton (voir "Au tout début il y a la fibre"). La fibre est obtenue sous forme de boules à partir desquelles il va falloir obtenir le fil. Cette nouvelle étape s'appelle "le filage".


 

Le filage est pratiqué par l'homme depuis aussi longtemps qu'il s'habille, c'est à dire depuis le Néolithique. Filer est une opération longue et difficile. L'homme n'aura de cesse de la rendre plus facile et plus efficace. Sa 1ère invention dans ce domaine date du Néolithique, il s'agit du fuseau. Ce dernier va être utilisé pendant plusieurs siècles pour sa maniabilité et sa facilité de transport. Au cours du 13ième siècle, un nouvel outil fait son apparition : le rouet. Cet objet est bien plus efficace et plus maniable que le fuseau, mais également bien plus difficile à transporter.  Le fuseau continue donc à être utilisé en parallèle du rouet, même si ce dernier domine l'industrie du fil. Enfin, la machine à filer est inventée au 18ième siècle.Voici un petit résumé de l'histoire du filage. Partons à présent pour un petit voyage au cours des siècles 😊.

 

Quelle que soit la technique utilisée, la fibre est tout d'abord lavée. Au Néolithique, elle est lavée avec une plante aux vertus nettoyantes, la saponaire. Aujourd'hui, nous utilisons tout simplement le savon.  Après avoir été lavée, elle est cardée. Le cardage est une sorte de brossage qui permet d'obtenir une fibre plus fine, plus régulière, mais aussi d'enlever les déchets solides (herbes, épines, ...). Que ce soit aujourd'hui ou au Néolithique, c'est seulement après ces 2 étapes que le filage peut commencer.

 

Au commencement, il y avait le fuseau

En réalité, dire que tout a commencé avec le fuseau n'est pas tout à fait exact. Avant le fuseau, il y a eu une étape encore plus archaïque : les femmes de la préhistoire filaient en frottant la fibre entre leurs mains et leurs cuisses. Le fuseau n'est apparut qu'au Néolithique. Il a permis de rendre le filage plus simple, et surtout plus efficace. 

A quoi ressemble un fuseau ?

Un fuseau se compose tout d'abord d'un disque de terre, de pierre ou d'os, plus ou moins lourd et plus ou moins large : c'est la fusaïole. On retrouve très souvent cette pièce sur les lieux de fouilles archéologiques attestant de l'importance du filage à la préhistoire, dans l'antiquité et plus tard. La fusaïole que vous pouvez voir ci-dessous est exposé au  museum d'histoire naturelle du Havre.

Bien sur, la fusaïole ne suffit pas à faire un fuseau. Au centre de cette dernière il y a un trou dans lequel on place une tige de bois créant ainsi une sorte de toupie qui va permettre de filer la boule de fibre. Le bois se décomposant rapidement, on ne retrouve bien sur jamais la tige, mais il est facile de reconstituer le fuseau à partir de la fusaïole. Le museum d'histoire naturelle du Havre en présente ici un exemple.

Au bout de la tige, on installe un crochet à travers lequel la fibre va passer afin de faciliter le filage.


A présent que nous avons l'outil, comment fonctionne un fuseau ?

Au départ, la personne qui actionne le fuseau a une "toison", c'est à dire un ensemble, une boule, de fibres qu'elle va transformer en fil. Cette toison va devoir passer petit à petit à travers le crochet pour ensuite s'enrouler autour de la tige. Pour cela, il faut "enclencher" le fuseau. Ça se fait avec un fil de guide qu'on enroule sur la tige. Ce fil peut être de la laine ou autre chose. Il faut simplement qu'il soit rugueux pour ne pas glisser (d'après Tricotin).


A présent que le fuseau est enclenché, on le laisse pendre dans le vide, puis on le fait tourner comme une toupie. Cette rotation donne à la fibre la torsion nécessaire pour créer le fil (d'après "Pesons et fusaïole sur le site grec d'Eritrie, Caterina Martini et Isabel Aitken")

Durant cette opération, une des 2 mains tient la toison au dessus du fuseau. Son rôle est de contrôler la quantité de fibre qui sort de la toison. La 2ième main pince les fibres entre le pouce et l'index afin de contrôler la torsion. Petit à petit le fil s'allonge et le fuseau descend. Quand il est proche du sol, on enroule le fil autour de la tige de bois, et on recommence (d'après Tricotin n'hésitez pas à aller voir ce site pour comprendre comment ça marche, c'est très bien fait !). Une fois la toison filée, le fil doit rester enroulé autour de la tige pendant plusieurs heures, sinon, il perd sa torsion et se débobine. Il faut alors refaire le travail.

Pour faire du fil, il faut de la torsion, mais également de la tension. Plus cette dernière est forte, plus le fil obtenu est fin. Dans le cadre du filage au fuseau, la fusaïole tire l'ensemble vers le bas. La tension sur le fil est donc donnée par le poids de cette dernière. Ainsi, plus elle est lourde, plus la tension est forte et plus le fil est fin.

Evidemment, il y a un bémol : plus il est fin, plus il est fragile, et plus il risque de casser. Il y a donc un équilibre à trouver entre l'épaisseur du fil voulu, la fusaïole, et les compétences de la fileuse. Une bonne fileuse pourra se permettre d'utiliser une fusaïole lourde pour produire du fil fin, quand une fileuse débutante se contentera d'une fusaïole légère pour éviter de casser son fil. 

Pour produire un vêtement, il faut une très grande quantité de fil, ce qui représente des heures de filage. Le fuseau est pratique parce qu'il s'emporte partout, mais il est peu efficace. Une invention géniale venant de Chine permettra d'accélérer la cadence et de produire plus de fil !

 

Après le fuseau vint le rouet

 

Le rouet apparaît en Chine au 13ième siècle. Il se propage très rapidement en Asie, puis en Europe où on le trouve dès le 14ième siècle dans tous les niveaux de la société.

 

Les 1ers  rouets : les rouets à grande roue 


Les 1ers rouets se composent d'une grande roue, d'un fuseau et d'une poulie. Le fuseau s'installe sur un support horizontal, sur lequel on trouve également la poulie (photo d'après patrimoine lié au tissage et au filage en Bretagne) .
 


On monte ensuite une courroie qui relie la grande roue à la poulie. Ainsi, lorsque la fileuse fait tourner la roue, la courroie entraine la poulie qui fait tourner  le fuseau, lequel va pouvoir se remplir (photo issue de la mesnie de Serendipity).

Le rouet à grande roue accélère considérablement le travail de la fileuse. C'est le niveau zéro du rouet puisqu'il n'a encore ni manivelle, ni pédale, mais c'est une énorme avancée.


Le rouet à épinglier


L'utilisation du rouet se simplifie au 16ième siècle avec l'apparition de "l'épinglier". Le rouet varie très peu du rouet à grande roue. On y ajoute simplement une pièce en forme de fer à cheval fixé autour du fuseau (photo de la hottee info).

L'axe du fuseau possède un trou à l’extérieur du fer à cheval. C'est par là que vont entrer les fibres à torsader.

Lorsqu'on la roue se met à tourner, l'épinglier et la bobine sont entraînés par la courroie et le fil est peignés et vrillé par les crochets et les épingles de l'épinglier. Il va ensuite s'enrouler s'enrouler autour de la bobine. 

Ce type de rouet possède une roue plus petite que le rouet à grande roue. Il est donc nettement moins encombrant. Il peut également être horizontal ou vertical.

(photo wikipedia et la hoteeinfo).


Avec le temps, il sera équipé de manivelle et de pédales, ce qui simplifiera encore le filage.

Le rouet va dominer l'industrie du filage pendant 5 siècle, jusqu'à ce que commence une autre grande aventure, celle des machines ! Malgré tout, le rouet continuera à perdurer : les dernières fileuses au rouet recensées dans les campagnes françaises datent des années 1950. Gandhi lui-même en fera un symbole de liberté et de lutte non-violente. 



Quand la machine entre en jeu

 

Histoire de la machine à filer en quelques dates


1746 : La 1ère manufacture est créée à Mulhouse. Les machines sont actionnées par des indiennes (et si !)

1760 : James Hargreaves travaille comme tisserand dans le Lancashire en Grande Bretagne.

Il n'a absolument aucune éducation, il a juste été formé artisan tisserand et il vit dans une petite ville spécialisée dans le textile (photo wikipedia).

 

En 1771 en Grande Bretagne, une grande révolution s'opère autour du textile, et les demandes en fils de cotons explosent. Soudain, la petite ville du Lancashire se retrouve totalement débordée par les demandes ! Les rouets traditionnels ne suffisent plus. Que faire ?

Sans éducation ne signifie pas sans intelligence. James Hargeaves met en route ses méninges, réfléchis, tourne le problème dans tous les sens et fini par mettre au point une machine plus efficace que le rouet qu'il nomme "la spinning Jenny" du nom de sa fille. Cette machine est composée de plusieurs quenouilles et d'une roue. En fait, il s'agit d'un rouet géant filant autant que plusieurs rouets connectés. Au début, cette machine compte 8 quenouilles, ce qui signifie qu'une spinning jenny file autant de fil que 8 rouets ! En 1770, lorsqu'elle est brevetée, la spinning jenny compte 16 quenouilles. Cette machine fera la fortune de James Hargreave.


1769 : Richard Arkwight, né dans le Lancashire en Grande Bretagne (Si si !) et doué pour la mécanique, s’intéresse aux machines à carder et aux machines à filer. 

 

En 1769, il brevète une machine à filer hydraulique qui s'affranchit du facteur humain. Cette machine assure la forte tension nécessaire à la fabrication du fil de chaine en remplaçant les doigts par des cylindres de bois et de métal (photo water frame).

Par la suite, cet homme, peu sympathique et égocentrique, a passé sa vie à poser des brevets en améliorant ses propres machines et celles de ses associés, puis à créer des usines. Il reste malgré tout l'homme ayant le plus participé au développement de l'industrie du coton en Grande Bretagne

1779 : Samuel Crompton crée la spinning Mule permettant à 1 seul ouvrier de commander jusqu'à 1000 fuseaux.


 1812 : les métiers à tisser de Grande Bretagne produisent autant que 4 millions de rouets

 

Aujourd'hui

 

Aujourd'hui, vous vous en doutez, les choses ont beaucoup évolué. On est quand même à plus de 350 ans de la révolution du textile britannique ! Les techniques utilisées de nos jours n'utilisent plus du tout les fuseaux et les rouets d'autrefois. Elles sont 1000 fois plus efficaces et tout est mécanique.

Pour que ça puisse marcher, plusieurs machines s'enchainent :

  1. La machine à carder est équipée de tambour comportant des aiguilles métalliques en mouvements. Ces dernières séparent, parallélisent, demêlent et nettoient les fibres. A la sortie de la machine à carder, on obtient un ruban de fibres.

  2. Le ruban est encore étiré plusieurs fois à l'aide de tambours afin d'être encore affiné. Si les fibres sont longues, il est également peigné.
  3. Le ruban passe dans le banc à broche afin d'être tordu et de donner le fil. Sur l'image, on voit les rubans en haut de la machine. Ces derniers sont transformés en fil puis bobinés sur les bobines visibles en bas.

Voilà pour cette 2ième étape. Nous sommes passés de la fibre au fil. Il va à présent falloir tisser ce fil si on veut obtenir du tissu. A suivre 😊.




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